J 20 et 21 – Les crêtes du Campirme : De la guerre civile espagnole à la ligne Maginot !


Abris franquiste au Pic Campirme
Abris franquiste au Pic Campirme

Après avoir passé une excellente nuit au refuge Certascan, l’équipage doit rejoindre, en trois jours de marche, les célèbres « Encantats ». Pour cela, l’intello a repéré une belle ligne de crête, celle du pic Campirme (2635m), orientée nord-sud qui domine les vallées de Cardós et d’Anèu. L’équipage quitte la HRP et part « vagabonder » selon ses inspirations. Bien peu est publié sur le « net » à propos de cette crête. Le point de départ se situe à la petite station de ski de Pleta del Prat (1720m), située au dessus du barrage de Graus. Il faut d’abord l’atteindre pour y passer la nuit.

Après une montée, franche et totalement enneigée, au col de Certascan (2585m), commence une longue descente dans une vallée parsemée de gaves et de lacs. A l’estany Blau, la neige disparait définitivement. L’estive approche. Elle est riche en fleurs : rhododendrons, genets, iris etc. Un premier pin à crochets, si caractéristique des Encantats, apparait. Comme lors des étapes précédentes, les gaves sont délicats à traverser. Descendant toujours, les bois sont passés pour finalement atteindre le hameau de Noarre. Toutes les granges sont en parfait état. Les prés, à l’herbe haute et dense, sont intouchés. Il n’y a pas âme qui vive. Bucolique au possible, comme coin.
Il s’agit ensuite de rejoindre Graus (1340m) par un doux sentier, très praticable, qui suit, dans les bois, le cours du « rio de Noarre ». Une descente tranquille et relaxante après la neige, glace et les rochers des jours passés.

Depuis le petit hameau de Graus, l’équipage remonte 400m de dénivelé pour atteindre le refuge de Pleta del Prat où il sera le seul visiteur du jour. Il est du coup « chouchouté » : diner en famille avec « l’aubergiste » et mise à disposition de la machine à laver. Une fois n’est pas coutume ! Pour le reste de la traversée, un cérémonial quotidien s’instaure. Sitôt arrivé à destination, pantalon, tee-shirt et chaussettes du jour auront systématiquement droit à un passage à l’eau, chaude (rarement), tiède (quelque fois), froide (souvent), selon les refuges; une eau « teintée » de quelques gouttes de savon de Marseille. Celui même utilisé pour l’hygiène corporelle et les cheveux. Pratique ! Pour le séchage du linge, le soleil couchant fera toujours l’affaire.

Belle remontée très tôt le lendemain, en passant le long de l’étang du Diable. De ce dernier, comme Nessie, la rumeur en parle mais personne ne le voit jamais ! Ce jour-là, il devait dormir. La mule craint cependant… surtout que le brouillard va et vient. Le pic Campirme (2635m) est enfin atteint. La vue à 360° est magnifique. Un belvédère hors norme. La crête descend par de doux « alpages » (mot curieux pour les Pyrénées !) vers le sud pour s’achever au pic de Montcaubo (2.290m) sous lequel passe le GR11 qui doit conduire l’équipage à la Guingueta d’Anèu, la prochaine étape.

Au pic, la trajectoire de la mule et de l’intello vont soudain diverger totalement. La première va voir le compteur monter à 33,4 kms pour la journée (contre 19,6 kms de prévus par le GPS), le second va plonger dans la guerre civile espagnole et la ligne P (la « petite » ligne Maginot du Général Franco).

Surprise : Tout autour du sommet, des redoutes et fortifications, datant de la guerre civile espagnole sont installées. Des tranchées les relient. A cette altitude, 2635m, le Général Franco avait fait prendre position à ses troupes. L’endroit est stratégique. D’en haut, elles surveillaient les vallées à l’est – elles conduisent vers la Catalogne – et à l’ouest – elles conduisent à l’Aragon. Les troupes resteront assez longtemps sur place. Après les sévères défaites républicaines en Aragon de 1938, le front s’est stabilisé en Catalogne occidentale. Franco, craignant des réactions françaises à une invasion de la Catalogne, par ses hommes,  avait préféré porter son effort de guerre plus au sud vers Valence et Teruel. Dans les faits, ces installations militaires ne serviront pas « activement » en 1939 quand la Catalogne, tombera « comme un fruit mur ». Plus sur le sujet : « Le front du Pallars durant la Guerre Civile » (cat)

Tout en observant ces vestiges, la mule et son intello cheminent le long de la crête vers le GR11. Sur la crête, l’estive est totalement dégagée. De nombreux troupeaux paissent tranquillement. Des biches ne sont pas très éloignées. Pas un bipède, comme si souvent. Un très bel endroit avec un panorama complètement dégagé.

Le col de Campirme (2000m) est atteint. Les bois prennent la suite sur la crête. La vue se bouche. Le GPS programmé conduit à des sentiers sans issus, envahis par la végétation. Une heure, deux heures de marche à chercher le GR11. Ne voulant prendre de risque, une barre rocheuse pouvant toujours apparaitre, l’intello décide de revenir au col pour descendre à l’ouest. Cette trace est aussi programmée dans le GPS sauf que – ce qui n’est pas prévu – le sentier est envahi par l’herbe printanière. Il disparait trop souvent. Force est de prendre une piste empierrée aux multiples virages. Le compteur accumule les kilomètres. Les gourdes se vident. La chaleur fatigue nos deux compères.
Une vieille « Fiat 500 » brinquebalante apparait. Teresa et Aina nous conduisent à 2 kilomètres de là, à Llavorre, hameau de quelques âmes. David Reguant, mari de Teresa, ébéniste, poète, homme libre – « Ah, si je pouvais déchirer mon permis de conduire et ma carte d’identité… », historien, guide propose d’accompagner l’équipage, à pied, par un chemin de traverse, pour rejoindre le GR 11 à Dorve. « Un de ces chemins qui autrefois reliant les villages sans passer par les vallées… »

Après quelques centaines de mètres, durant lesquels David trouve des cèpes, des girolles ou encore un pin, tombé en travers du chemin, pin qu’il découperait bien pour le sculpter, le chemin conduit aux blockhaus de Franco.
Enfouis dans la forêt qui « monte les pentes », ces constructions ont été réalisées par des prisonniers républicains. Perdus dans les bois, les structures n’en imposent pas. Seules, elles ne sont rien. Toutes ensemble, c’est une autre histoire. Franco, à la fin de la guerre civile, alors que la deuxième guerre mondiale allait débuter, lança le projet Linéa P (Ligne P pour Pirineos). Objectif, construire 10.000 blockhaus de la Méditerranée à la chaine Cantabrique pour protéger l’Espagne contre une éventuelle invasion des Nazis … puis des alliés ! On comprend mieux pourquoi Hitler se méfiait de Franco. Il se souvenait aussi certainement des déboires de Napoléon.

Les travaux débuteront en 1939 pour se terminer en 1948. Sur les 10.000 blockhaus prévus, 6.000 furent tout de même réalisés. La Linéa P resta active jusqu’à la mort du « Caudillo ». Ce n’est qu’au début des années 80 qu’elle fut abandonnée. Cette ligne, les locaux l’appellent, la « petite ligne Maginot » ! (Plus sur le sujet : c’est ICI et ). La traversée des Pyrénées conduit à tout. Une journée de découvertes historiques.

Dorve en vue, le GR 11 atteint, David, repart dans son monde d’homme libre. Il ne resta plus à notre équipage que de rejoindre la Guigueta d’Anéu (920m). Ils leur fallu une heure – encore – pour y arriver. L’intello en avait plein la tête, la mule plein les pattes (33,4 kms). Une journée de randonnée débutée, il y a presque 11 heures.

– par Bernard Boutin

Nota :
– Le verdict du GPS
Refuge Certascan – Refuge de Pleta del Prat: 3,6 k/h, 4h53 de marche, 6h45 de rando, 17,4 kms parcourus, 732m de dénivelé positif
Refuge de Pleta del Prat – Pensión Cases à la Guingueta d’Anèu : 3,8 k/h, 8h44 de marche, 10h55 de rando, 33,4 kms parcourus, 1340m de dénivelé positif
– * J 20 et 21 de la traversée des Pyrénées d’est en ouest de la « mule et l’intello ». Les précédentes étapes, c’est ICI
– Crédit photo : Bernard Boutin

 

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